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L’année dernière, Lilylit me conviait sur son blog en tant que chroniqueur ciné d’un jour. Ma mission ? Choisir un film sorti en octobre, puis l’analyser.

L’article ayant bien vécu, je le publie à mon tour.

Mêler poésie et dénonciation de mariages bourgeois arrangés ? Voilà le défi qu’a choisi de relever Tim Burton. Défi que le réalisateur prendra dix ans à aboutir. C’est que le stop-motion, en plus d’être une technique de réalisation redoutablement efficace, s’avère très chronophage (pour ceux du fond qui ne suivent pas : le stop-motion consiste à photographier chaque mouvement d’une marionnette, couplé à une expression et à une gestuelle. Assemblées au montage, les photographies engendrent le mouvement.).

Le 19 octobre 2005, nous en avions le résultat sous nos yeux ébahis. Inspiré d’une légende juive, « La mariée morte », Les noces funèbres propose un conte romantique, non seulement sur l’amour vrai, mais aussi sur le malheur d’aimer à en mourir.

Un cœur qui a cessé de battre peut-il encore se briser ? questionnera Lord Barkis dans un ricanement. Cruauté et morgue bourgeoise résonnent entre les murs glaciaux de la chapelle.

On connaissait le mépris à peine voilé de Burton pour la bourgeoisie culturelle, moquée dans Beetlejuice. À l’instar de ce film, Les noces funèbres peut-il être un manifeste anarchiste ?

Autopsie d’un chef-d’œuvre.

Un message politique

Le film croise deux destins, ceux de Victor Van Dort et de Victoria Everglot. Elle, vient d’une famille de notables établis. Lui, d’une lignée de nouveaux riches à l’incroyable faculté d’adaptation (« J’ai toujours su que je méritais autre chose qu’une vie de marchande de poissons », clame sa mère, nez orgueilleusement pointé en l’air, avant de rabrouer son cocher qui tousse à en cracher ses poumons. Ҫa fait désordre, lorsqu’on s’apprête à rencontrer les Everglot…). Tandis que ces jeunes gens ont une vision dépolitisée des rapports de couple et du mariage, n’y cherchant qu’un partenaire de vie pouvant les rendre heureux… le cœur de leurs parents ne battent que pour une alliance de clans, promesse de fusions-acquisitions de biens patrimoniaux. Tim Burton nous rappelle alors les fondements du mariage : une transaction. Et non pas une cérémonie romantique, comme le croient ces deux naïfs. Victoria l’apprendra à ses dépens, lorsqu’elle sera surprise seule avec Victor. Virginité oblige, son corps a une valeur marchande, et l’exposer ainsi à un homme, sans présence d’un chaperon, en fait écrouler la cote à l’argus. Corsetage du corps et des esprits, Victoria étant interdite de piano. « Trop de passion ». Là encore, sa valeur reste conditionnée à son attitude. Quand Victoria, inquiète, interroge sa mère sur le sens du mariage, cette dernière lui répond avec tout le mépris qui la caractérise : « Le mariage n’est qu’un contrat, inutile donc de se plaire ». Excellent antidote à la fornication, obsession chère à tout bigot. Le coït est purement utilitaire…

Mais tout n’est pas que contrat « œil pour œil, dent pour dent ». Il est aussi question d’apparence. Primordiale chez le bourgeois incapable de jauger autrui hors de ce filtre, elle devient vitale lorsqu’on se retrouve acculé au bord du gouffre. Le système montre alors ses limites. Le mariage, surtout en cette époque où le divorce n’existait pas, se change en attrape-pigeons. À trop d’ostentation, on attire aussi des prédateurs ; Lord Barkis entre alors en scène, se posant en sérieux concurrent de Victor, dont l’émotivité déplaît beaucoup à ses futurs beaux-parents.

De l’usage des couleurs afin d’appuyer un message

On l’aura compris, Tim Burton perçoit le bourgeois comme un être insipide et ennuyant, incapable de passions, encore moins de sentiments hormis l’avidité. Cet être chiant comme la mort, au teint de cendre, le réalisateur le met en couleurs. Le monde des vivants se compose de teintes de brun et de gris. Des couleurs froides, à l’image d’interactions sociales planifiées, si protocolaires qu’elles tuent toute spontanéité. Un monde silencieux, aussi. Les sons autres que ceux de la parole s’avèrent être le frottement d’un balai contre les pavés ; le choc du hachoir sur la table, tandis qu’on décapite le poisson ; le trottinement du cheval ; la cloche du crieur public. Tout autre bruit devient sacrilège car superflu, comme la mélodie d’un piano. Seule exception graphique à la règle : la scène d’ouverture, toute en poésie, où Victor dessine le papillon qu’il a capturé. Un insecte d’un bleu flamboyant.

Tout change lorsque Victor, au comble du stress, se réfugie dans les bois et confond la main d’Emily avec une branche d’arbre pendant qu’il répète ses vœux. Marié par erreur à un cadavre, le voilà catapulté dans le monde d’en dessous. Tourbillon de couleurs. Pulsations jazzy. Des morts plus enthousiastes et drôles que les vivants. Il y a de quoi hésiter à remonter, surtout quand on renoue avec son fidèle chien ! Victor se retrouve tiraillé entre ses obligations, ses relations mortifères, et l’attrait d’un univers dont les habitants, débarrassés des carcans sociaux et de la peur de déplaire, sont heureux de vivre leur après-vie. Tiraillé, aussi, entre deux femmes que tout oppose. Victoria, adolescente vivante à tête de « loutre déprimée » (que sa frustration musicale ne doit pas aider). Emily, jeune morte lumineuse jouant au piano de façon décomplexée. Sans doute doit-elle avoir le même âge que Victoria, mais sa malheureuse expérience des hommes l’aura fait mûrir à grands pas…

De l’usage du character design afin d’appuyer le message

Nous venons de voir que les couleurs renforcent le message du film en instaurant une certaine ambiance. Le character design sert aussi ce but.

Les personnages pauvres, ou dénués d’esprit bourgeois, possèdent des visages en rondeurs, évoquant la douceur. Il en est autrement des personnages bourgeois, ou si embourgeoisés qu’ils soutiennent mordicus le système qui les broie.

Maudeline Everglot, par sa chevelure et son visage, rappelle une verge renversée accompagnée de ses testicules. Son époux, Finis, a beau avoir le visage rond, sa complicité et sa soumission à son épouse suffisent. Inutile de forcer le trait. On peut toutefois se questionner sur ce choix. Victoria tient son physique de son père bien plus que de sa mère. Son géniteur lui ressemblât-il par le passé ? En épousant Maudeline, se fit-il une raison en se conformant à ce monde injuste afin de ne plus souffrir de ne pouvoir le changer ?

Quant à leur majordome, son attitude hautaine et son nez démesurément grand — phallique ? —  ne laissent aucun doute sur son état d’esprit. Il en va de même pour le pasteur Galswell, dont le long menton pointu, la coiffe ronde dressée sur la tête, pendante au repos, ôtent toute ambiguïté.

Et ne parlons même pas des joues de madame Von Dort imitant une paire de bourses, encore moins de la proéminence du menton de Lord Barkis…

« Bourgeois, têtes de bites ? »

C’est l’impression savoureuse que l’on en gardera.

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